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M'barka Amor

Née en 1979

Vit et travaille entre Lyon et Paris

En inscrivant le dessin dans une pratique du quotidien et avec une grande simplicité de moyens, M’barka Amor entretient un rapport studieux et libre avec ce médium : léger, nomade, lié à l’écrit et au livre. Par sa fragilité le papier forme une peau, une surface sur laquelle la mémoire des choses disparues peut affleurer et prendre forme. M’barka Amor - tantôt Hermès ou archéologue - met à nu très délicatement des disparitions : celle des corps, des individualités et des visages qu’elle transporte jusqu’à nous dans ses œuvres depuis une mémoire morcelée. Par le collage et la juxtaposition, elle joue des codes et mythifie certains objets, qui prennent valeur de signes, devenant des témoins culturels et jouant le rôle de personnages. Elle produit avec cette matière sensible et sémantique de joyeux décalages, férocement iconoclastes, mais dont la drôle incongruité n’occulte en rien le sérieux du propos.

M’barka Amor mène un travail de fond, dans un mouvement perpétuel : une démarche de recherche dans une mer de références culturelles. Incluant des œuvres classiques qui appartiennent à ce qu’on pourrait nommer « notre socle culturel occidental », celui du commun de l’école et des bibliothèques, elle incorpore dans son champ de vision de nombreuses autres références, beaucoup plus diverses et ouvertes, savantes et populaires. Sans chercher un point de choc des cultures ou une scission bien artificielle, c’est davantage une convergence qui a lieu dans cette rencontre de référents et de repères, qui se cristallise au cours de la phase de création.

Déployant le dessin et l’image en grandes toiles de fonds (papiers peints, rideaux) et invitant la vidéo la performance et le volume, elle mêle des éléments biographiques - vécus sous-jacents et non explicités. Cet investissement intense de l’artiste, à l’aide de la mémoire, des ressentis et des récits permet d’aborder l’altérité sur le plan sensible, sociétal et politique à la fois. Les gestes, les paroles, la langue et les objets recueillis deviennent des matériaux agissants, des composantes vivantes qu’on retrouve d’une œuvre à l’autre de l’artiste, formant un corpus qui tient liée l’apparente diversité des formes. Ainsi, M’barka Amor convoque son entourage dans certaines œuvres, on entend des voix, on voit un corps sans voir de visage : ce sont des présences discrètes, parfois des absent·es, presque des fantômes que l’artiste sollicite avec humour et tendresse. Cette dimension intime joue sa partition de véhicule des émotions - conservées brutes et intactes - qui traversent ainsi toute l’œuvre sans rien perdre de leur complexité ou de leur universalité.

Relevant avec soin des éclats de mémoire, des témoignages de l’histoire coloniale et de ses conséquences mortellement délétères, elle adopte dans ses œuvres une position de résistance déterminée. Elle relève les bévues sémantiques lourdes de sens qu’elle rencontre dans son quotidien, raille l’orientalisme et les biais xénophobes de nos sociétés. En relevant les signaux faibles du racisme ordinaire sur des étiquettes de produits cosmétiques et des shampoings, ou en peignant intégralement son corps lors d’une performance filmée, M’barka Amor questionne la peau ; fine enveloppe qui joue son rôle d’interface de la tendresse, du contact et de l’amour, peau sociale et peau intime, surface de désir, d’injonctions, de questionnement de la normativité. Elle joue aussi de son invisibilisation : le corps prend la couleur du décor pour s’y fondre, les cheveux sont disciplinés.

Explorant l’intime et le collectif, l’anecdote et les vibrations de l’histoire, elle ouvre une voie sensible et critique, non clivante, réflexive et émouvante.

Xavier Jullien, commissaire d’expositions Directeur du Centre d’art Madeleine Lambert

CV
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